Les Secrets de James Ensor

À l’occasion de l’année Ensor en 2024, Bart Ramakers a été invité à créer une scène pour la promenade Ensor Elle Adore le Noir, qui passe par 40 vitrines de magasins ostendais. Il a relevé le défi avec une grande ambition : lever le voile sur les mystères qui entourent toujours le grand artiste ostendais, en partie à cause des mythes qu’il a lui-même créés autour de sa vie et qui perdurent.

Bart Ramakers, Les Secrets du Hareng Saur, 2024

Dans sa mythologie auto-créée, Ensor laisse entendre que ses figures grotesques, ses situations caricaturales, ses masques et ses squelettes lui sont simplement venus à l’esprit, c’est-à-dire qu’en tant que créateur souverain autonome, il a tout imaginé sans aucune influence extérieure (à l’exception bien sûr des grands maîtres du passé, tels que Goya, Rembrandt ou Bosch). De plus, il a toujours soigneusement tenu ses relations familiales et les femmes de sa vie dans l’ombre. Il est grand temps de lever le voile!

Les Secrets du Hareng Saur est un jeu de recherche avec des références à 10 œuvres d’art de James Ensor qui jette en même temps une lumière démystifiante sur les relations et les sources d’inspiration du souvent incompris artiste ostendais.

ATTENTION Spoiler Alert !

BOOM! La fumée de poudre provenant du coup de canon du Général Leman (Ensor et le général Leman disputent la peinture) commence à peine à se dissiper lorsque la Vierge Consolatrice s’approche de James Ensor à genoux. Qui est cette femme, si centrale dans cette scène et dans sa vie ?

James Ensor, Ensor et général Leman disputant la peinture © Cedric Verhelst

Dans Ensor et le général Leman disputent la peinture, Mariëtte Rousseau joue en tant que personnage central pacificateur, se représentant elle-même; dans la Vierge Consolatrice, elle prend la forme de la Vierge Marie. Plus tard, James avouera qu’elle était la rencontre la plus importante de sa vie, lorsqu’il cherchait son chemin en tant qu’étudiant en art à Bruxelles. Pendant plus de 30 ans, ils ont correspondu, remplissant plus de 400 lettres.

James Ensor, La Vierge Consolatrice

James Ensor dans son propre travail la Vierge Consolatrice s’est agenouillé devant sa grande amour, ses pinceaux dispersés autour de lui sur le sol. En haut à droite, sur un chapiteau, la tête grotesque du mari de Mariëtte, Ernest Rousseau, professeur et recteur à l’ULB, regarde avec rage. La relation est-elle restée purement platonique ? Nous n’en savons rien, Ensor n’a jamais rien écrit à ce sujet, seule une dessin avec un coeur et une clé qu’il a envoyé à Mariëtte nous est parvenu comme témoignage de sa passion.

Dans Les Secrets du Hareng Saur, il reste ambigu si Mariette est en train de bénir ou de réprimander Ensor. Dans sa main gauche, elle tient le dessin dans lequel il avoue son amour pour elle. Bien sûr, devant lui (comme dans le tableau) se trouve un hareng saur, ce que nous appellerions maintenant un hareng mariné, une référence au nom d’Ensor avec laquelle il aimait jouer.

Alors que Mariëtte/Maria réconforte Ensor, il est tiré par la manche par une jeune femme nue. Cela ressemble à une tentation de Saint Antoine, un thème favori de James : le solitaire tourmenté par des femmes lascives et des démons.

James Ensor, la Tentation du Saint Antoine

Mais le démon qui tourmente Ensor est un choix personnel. Ils sont rarement mis en lumière mais ils sont bel et bien présents dans sa vie et son œuvre : les passions charnelles. Par exemple, il y a Augusta Bogaerts, la vendeuse qu’il a rencontrée dans la boutique de coquillages de sa mère, mais avec qui il n’a pas pu se marier. Il a entretenu une relation cachée avec elle toute sa vie, bien qu’ils n’apparaissent ensemble en public que plus fréquemment après la mort de sa mère. Elle est représentée ici dans le style des êtres roses qui peuplent son croquis « Jeunes filles au bain ». La véritable nature de la relation entre Bogaerts et Ensor n’est pas si claire ; elle a en tout cas laissé entendre que « Jimmy » n’était pas un amant exceptionnel. Il est probable qu’en raison de ses affrontements avec sa mère dominante, il ait expérimenté que les femmes menacent la vie d’artiste libre, cultivant ainsi une certaine misogynie.

James Ensor, Jeunes Filles au Bain

Le père d’Ensor (ici joué par le philosophe de l’art Willem Elias) était un homme cultivé et intelligent qui n’a malheureusement pas pu réaliser ses ambitions et a fini sous le joug de sa femme et à la boisson. Nous le voyons ici profiter pleinement d’une bonne bouteille de vin blanc, pendant que sa femme le menace avec un bâton, tout comme dans le tableau de James Les Masques Irrités, le premier où il introduit des masques (1883). En parcourant les lettres d’Ensor, on découvre que de nombreux tableaux sont en réalité des scènes de famille voilées, où les masques doivent masquer la vraie histoire.

James Ensor, Les masques irrités

Dans la scène de Bart Ramakers, Ensor est visité et sollicité par l’amour platonique et profane, se disputant avec un collègue/critique et incompris par ses parents, entouré des personnages de ses « Les Sept Péchés capitaux » dominés par la mort : la vanité, la mort, l’avidité, la gourmandise, la jalousie, la luxure, la colère, la paresse, et dominant tous : la mort.

James Ensor, Les sept péchés capitaux dominés par la mort

Bien sûr, toute la scène se déroule dans l’atelier d’Ensor, son refuge, tel que représenté dans « Le squelette peintre ». Là, il pouvait se consacrer en toute tranquillité à ses natures mortes et ses mascarades, même s’il ne reste plus de masques dans cette scène.

James Ensor, Le squelette peintre

Tout à gauche, sous le générale Leman se disputant (ici joué par l’artiste bruxellois Clément Jacques-Vossen), sous un bonnet russe, sourit un crâne bienveillant, tout comme dans les Squelettes se disputant pour un Hareng.

James Ensor, Squelettes se disputant pour un Hareng

Au sommet de la scène, des fantômes de Démons me turlupinant se profilent à travers les volutes de fumée, une dernière référence au caractère tourmenté de l’artiste.

Un dernier mot sur James Ensor en tant que créateur totalement unique de son propre univers. Le professeur Bart Verschaffel a récemment démontré de manière convaincante d’où Ensor tirait son inspiration : des livres tels que l’Histoire de la Caricature de Champfleury et la Bible illustrée par Gustave Doré. En clin d’œil à ces nouvelles perspectives, cinq volumes reliés de Champfleury se trouvent en bas à droite de l’œuvre de Bart Ramakers.

Elle adore le noir est une promenade à Ostende, initiée par Luc Mangodt (président du CMO), organisée par Willem Elias, du 26 mars au 21 septembre 2024.

© Making of photos Johan Hespeel

Bart Ramakers, Démons me turlupinant

Modèles: Clément, Elsa, Renaat, Lady Vengeance, Kathleen, Johan, Willem, Eric, Johan, Luc, Piet, Alexandra, Marc, Carmen
Production manager: Sofie Baert
Light assistant: Marc Smeets
Set photographe: Johan Hespeel
Location: de Traagheid, Tielt, grace à Gilberte, Kathleen en Filip

© Bart Ramakers 2024